Quelqu’un peut-il me rappeler le but de la fête de la musique ? N’est-ce pas la diffusion de la musique à tous ? N’est-ce pas faire connaître des cultures, des sons, faire découvrir ou redécouvrir la musique traditionnelle comme la musique contemporaine ? Les groupes connus comme les moins populaires ? la musique sous toutes ses formes ? Et à un moindre coût ? Car la culture n’a pas de prix et ne doit pas être réservée. Chacun peut apprécier la musique, à sa façon, la fête de la musique, c’est un peu et beaucoup tout cela à la fois cela me semblait-il. S’il y a bien un moment privilégié où tout le monde peut écouter de la musique, s’il y a bien un jour où les enfants peuvent appréhender la musique, c’est bien le 21 juin. C’est du moins ce que je pensais jusqu’ici.
Hier soir au Castellet, j’ai voulu faire découvrir à mon fils les chants provençaux. J’ai choisi ce thème parce qu’il est né en Provence, qu’un concert intimiste eût été plus judicieux à mon sens, qu’une balade dans les rues d’une ville trop animée pour apprécier les belles notes qui se dégagent des concerts, à son âge.
Comme mon petit garçon est particulièrement sage et mélomane, j’ai pensé qu’exceptionnellement, qu’il se couche en écoutant des chants occitans dans mes bras, dans une église d’un petit village médiéval eût été une bonne façon à la fois pour moi de profiter de moments de détente, et à la fois pour lui de connaître ce type d’ambiance. Il était très enthousiaste, il applaudissait, restait tout sage sur son banc, les mains croisées, imitant son voisin de droite, un monsieur que je remercie, à cette occasion, d’avoir pris ma défense.
Au bout d’une demi-heure de concert, mon fils a commencé à avoir sommeil et à bouger sur le banc, tout en continuant à apprécier les chants résonnants. Je le voyais porter à son oreille gauche sa petite main d’enfant, il imitait les chanteurs, en fredonnant gentiment « OhOhOhOhOhOh ». A ce moment précis, j’ai été prise d’un élan d’émotion difficile à décrire, d’un élan d’amour envers lui, qui m’a fait me féliciter intérieurement du risque que je prenais à l’emmener à ce concert. J’avais réussi à lui faire apprécier les sons, et le spectacle, malgré l’heure tardive.
Il se trouve que le sommeil de mon fils est précédé de quelques « chouinements », de quelques mots envers sa maman, des plus simples et des plus banals pour son âge, pendant un laps de temps bien minime comparé à d’autres enfants qui n’auraient jamais pu vivre une telle expérience. Tout ce que je fais, je le fais en fonction de lui. Seulement ce soir, je l’ai un peu aussi fait pour moi en même temps, et je le savais suffisamment discipliné et mélomane pour apprécier quelques moments que j’avais par ailleurs prévu d’écourter ( j’ai pris soin en début de concert, de prévenir les musiciens de ne pas s’offusquer si je m’éclipsais dans le courant du concert).
Et voilà qu’un monsieur à l’air sérieux avec ses lunettes, au polo trop vert, assis un banc plus loin se retourne pour me dire en substance son agacement quant à la présence de mon fils dans l’assemblée, sans oublier de m’indiquer à quel point il se faisait le porte parole de l’ensemble de l’auditoire.
Monsieur, je veux que vous sachiez à quel point votre attitude m’a blessée, je l’ai ressentie comme une discrimination pure et simple : à quel titre osez-vous porter un jugement sur la façon dont j’élève mon fils ? Au titre d’auditeur d’un concert le jour d’une fête de la musique ? Quel est le droit que vous avez, vous, dans votre suffisance de mélomane, de me dire que mon fils et moi n’avons pas notre place à ce concert ?
Monsieur le porte parole improvisé, auriez-vous fait ces mêmes remarques sur ce même ton si j’avais été accompagnée? Vous vous êtes attaqué gratuitement à une femme, une mère visiblement seule un soir de fête de la musique, lors d’un concert ouvert à tous. Votre attitude a été bien plus irrespectueuse que la mienne en amenant mon enfant pour la première fois de sa vie dans un endroit que j’avais trouvé charmant et agréable, voir des musiciens qui ont pris la peine de lui chanter des chansons d’enfant juste pour lui avant que le concert ne commence, qui ont pris la peine de discuter avec lui. Je me souviendrai par ailleurs toujours de son regard lorsqu’il a entendu « à la claire fontaine » à 3 voix ou « pomme de rainette et pomme d’api » en canon.
Votre intolérance me désole et j’ose espérer, Monsieur l’auditeur avisé de musique, Monsieur aux oreilles agressées, que vous comprendrez votre intolérance par ce billet simple. Si la majorité des personnes réagissaient comme vous, Monsieur l’intolérant, alors je suggère qu’un écriteau soit apposé à chaque fois que les adultes voudront être tranquilles : «enfants non admis », comme on peut le voir dans certains lieux pour exclure les animaux de compagnie.
Monsieur l’éducateur, « l’enfant n’est pas roi », me dites vous d’un ton condescendant ! A quelle heure avez-vous estimé que mon enfant était roi ? Vous jugez de son éducation à sa présence dans l’auditoire ? Votre jugement est bien réducteur, Monsieur le juge. Mon fils m’accompagne partout où je vais. En instance de divorce, élevant seule mon enfant, je n’ai pas les moyens de sortir souvent, je n’ai pas non plus les moyens de payer une baby-sitter. Le jour où la société comprendra que les mères célibataires ont besoin d’aide, le jour où les hommes cesseront de quitter leur famille pour une nouvelle vie, alors peut-être, Monsieur qui savez tout, peut-être ne verrez-vous plus un enfant dans un lieu que vous estimez non adapté à son âge.
Nous sommes de plus en plus nombreux à élever seuls nos enfants, dans cette société que vous avez construite pour nous. N’est-ce pas votre génération qui a élevé les parents que nous sommes devenus ? N’est-ce pas votre génération qui nous a appris à consommer et vivre l’instant présent ? N’est-ce pas votre génération qui a fait la génération d’aujourd’hui, où 70% des mariages se terminent en divorce ? C’est votre génération qui nous a élevés, nous, parents que vous ne félicitez pas. Aux regards que vous m’avez lancés, vous pouvez n’avoir jamais eu d’enfant, ou bien faire partie de ces pères d’un autre temps, ce temps où les enfants n’avaient pas droit à la parole, faire ci et ça, accepter toutes humiliations, toutes situations imposées par les adultes, au motif qu’ils ne pouvaient se défendre, ce temps où l’on imaginait qu’un enfant ne commençait à penser qu’à partir du moment où il savait parler… Et j’en suis désolée pour vous, car les moments avec les enfants sont les plus merveilleux qui soient. Ils sont vrais et sans détour, sans calcul et aiment sans compter.
Pour finir, je tiens à dire qu’il n’y a pas d’âge pour apprécier la musique, que le groupe dont j’ai pu suivre ¾ d’heures de concert valait bien le détour. Monsieur le porte-parole improvisé a réussi à me faire pleurer en ce soir qui portait tant d’espoirs que j’avais dans une étape de reconstruction d’une vie mère-fils. Le peu de pertinence de votre intervention et votre manque de tolérance, Monsieur, me motive davantage pour élever mon fils comme je l’entends, selon ce que j’estime juste. Votre attitude est pour moi une preuve supplémentaire des progrès à faire dans l’apprentissage de la tolérance et de la mesure des choses. Et cela Monsieur le donneur de leçons, cela s’apprend dès le plus jeune âge. Au votre, je crains qu’il soit bien trop tard.
Une mère déçue de sa première fête de la musique avec son fils.